Prix de l’électricité: les électriciens sous le choc
Comme la chute des prix pétrole, celle de l’électricité fait également des dégâts. Après les exploitants de schiste américain, c’est au tour des producteurs d’électricité européens de découvrir les joies de la crise.
De 6 centimes € le kWh en 2011, l’or bleu ne coûte plus que 2,5 ct aujourd’hui et envoie tous les modèles d'affaires élaborés depuis des décennies à la casse. Durant les 6 dernières années, les dévaluations d’actifs atteignent déjà 104 milliards €!
Pour les électriciens, qui vendent machinalement leur électricité à des clients captifs depuis des décennies, le réveil est aussi brutal qu’inattendu.
Après le Gigantisme, la Panique
Durant les années folles de 2000 à 2008, les grands acteurs se sont battus pour acheter des unités de production géantes basée sur une prévision de hausses constantes des prix de l’électricité. Nul n’imaginait que le marché puisse baisser.
La démesure trouva son apogée avec la création du nouveau réacteur nucléaire français EPR, un symbole de puissance et de grandiloquence, synonyme de croissance infinie.
Mais l’imprévisible arriva. La compétitivité des énergies renouvelables, la crise industrielle actuelle qui pèse sur la consommation et la catastrophe de Fukushima ont déstabilisé ces entreprises habituées à naviguer par beau temps. Les rêves se sont écroulés en même temps que les prix.
Aujourd’hui, l’EPR français ressemble au Concorde, les centrales à gaz sont à l’arrêt et les centrales à charbon commencent à fermer, écrasées par un prix de vente du kWh inférieur aux coûts de production.
Pris de panique, les managers ont dû trouver des parades artificielles et comptables en lançant des vagues géantes d’amortissements afin de dévaluer la valeur de leurs installations. En 2015 seulement, 30 milliards € d’actifs ont disparu des livres comptables. Dans certains cas, ces dévaluations reflètent une saine correction mais d’autres tendent à cacher un autre problème de fond.
Etape 1: Jouer au Casino et amortir
Sur le modèle des banquiers, les électriciens se sont lancés dans la spéculation et le trading d'électricité. Ainsi, le Suisse Alpiq, qui génère seulement 340 millions € de revenus avec ses centrales électriques, affiche dans sa rubrique Commerce & Trading plus de 4,2 milliards €. Ces grandes entreprises se sont mises à jouer au Casino dans l’espoir de redresser la barre, de camoufler les errances de leurs investissements et accessoirement de justifier les salaires pompeux de leurs dirigeants.
Dans cette loterie, il est difficile de connaître les noms des vainqueurs et des perdants car l’industrie ne brille pas par sa transparence. Cependant, certains amortissements douteux peuvent donner une indication sur le montant des pertes accumulées au Casino. En effet, les montants des dévaluations des centrales nucléaires, hydrauliques, à charbon à gaz ou des barrages permettent de dissimuler les pertes liées à la spéculation.
Etape 2: Se débarrasser des actifs encombrants
Alors que plusieurs centrales nucléaires terminent leur vie, les RWE, E-On, Axpo, Alpiq font face à la réalité des coûts et du stockage des déchets.
Certes, des fonds ont été provisionnés pour couvrir une partie de ces frais. Mais comme dans les majors pétrolières, les producteurs ont préféré utiliser leurs revenus pour privilégier les dividendes à leurs actionnaires afin de s’assurer des sources de financements et un accès aux crédits.
Alors que l’Allemagne a revu sa copie et prévoit un montant de 23,3 milliards € pour couvrir les frais de stockage du combustible nucléaire, les producteurs chargés de payer la facture découvrent que c’est au pied du mur que l’on voit mieux le mur.
Pour minimiser les risques, l’Allemand E-On a décidé de diviser ses activités et entités entre «fossiles» et «renouvelables». La production d’énergies fossiles (charbon, gaz, diesel, nucléaire) et à risque (trading) ont été transférés dans Uniper alors que E-On se réserve les énergies renouvelables (éolien) bien moins risquées. En temps voulu Uniper pourra utiliser l’arme de la faillite pour éviter de faire face à ses engagements alors que E-on pourra continuer à voguer.
A l’opposé de cette stratégie, EDF intègre toute la palette d’installations du parfait producteur d’électricité et fait confiance à l’Etat pour couvrir ses dettes monstrueuses.
Tel un requin, les électriciens, qui ont volontairement complexifié leur business, ont voulu nous emmener dans leurs eaux troubles et les voilà pris à leur propre jeu.
La crise qui secoue l’électricité européenne peut être une opportunité salvatrice. En 2015, dans le monde, la moitié des nouvelles unités de production électrique installées ont été à base de renouvelable. Ce changement de paradigme apporte plus de transparence et moins de complexité dans le système. Il pourrait offrir une solution à ces managers dépassés par le monstre qu’ils ont créé.
Mais la puissance des lobby, l’incompétence des financiers et des banquiers et l’immobilisme politique poussent à maintenir le statu quo. Décidément, l’électricité européenne affronte les mêmes démons que les producteurs de schiste américains.