Ressources, conflits et service militaire
Par Thomas Norway – Ça chauffe pas mal sous les maillots de camouflage ces derniers mois et années : Ukraine, Moyen-Orient, Taiwan, Pakistan, RDC, Darfour… Dès lors, dans les salons de l’armement, ça va Bourget, car les dépenses gonflent telles des bulles spéculatives pour soutenir l’industrie de la guerre.
Comment l’exploitation mondialisée des ressources (énergétiques ou non) influencent les relations avec son prochain mais également les objectifs du service militaire : à quoi sert-il ? Qui dessert-il ce … service ?
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Le refoulement du distributif : l'exemple Russe
Si dans un discours il y a un gagnant, c’est qu’il y a également un perdant et donc une confrontation qu’il y a lieu de questionner et appréhender.
Prenons l’exemple Russe, qui a fait et fait encore couler le plus d’encre et de sang en Europe avec des éléments économiques pour contextualiser les agressions russes mais qui n’excusent en rien les morts et les souffrances engendrées.
La Russie tire une part très importante de ses revenus de la vente d’hydrocarbures (environ 40% du budget fédéral).
Ces revenus assurent "la paix sociale" pour partie car ajointe d’un contexte politique très loin du peace & love.
Si les revenus baissent, la contestation augmente.
2014 : Invasion de la Crimée
Le pic de production du pétrole facile à extraire (conventionnel) a eu lieu vers 2005 (source IEA) en induisant une crise économique (subprimes) qui a conduit à une récession mondiale à laquelle l’Europe n’a pas échappé (crise des dettes souveraines) jusqu’en 2014.
Ces dominos socio-économiques ont augmenté le chômage et fait baisser la consommation d’hydrocarbures et leur prix (offre-demande) en réduisant les capacités de la Russie à acheter la paix sociale.
2022 : Invasion de l’Ukraine
La pandémie de COVID19, qui se termina en 2023, a confinés des tas de gens chez eux en provoquant une baisse importante de l’activité économique et fait baisser la consommation d’hydrocarbures et leur prix, etc.
Bref, quand le peuple gronde, que le gâteau à se partager se réduit, il est plus simple de trouver un bouc-émissaire chez soi ou ailleurs.
“Quand on ne trouve pas la solution à son malheur, on lui cherche un coupable.” Yasmina Khadra
Le gâteau qui se réduit
L’efficacité de conversion d’une énergie en quelque chose qui nous est utile a un coût croissant exponentiel pour un gain croissant linéaire : une machine efficace à 40% produira deux fois plus d’utilité qu’une machine efficace à 20% (c’est linéaire).
Quand l’énergie ne coûte rien (courbe rouge) ; on a un optimum absolu de la rentabilité énergétique (l’efficience)
Quand l’énergie se raréfie, son coût (extraction, conditionnement, transport,…) augmente et implique d’augmenter l’efficacité (courbe orange).
En effet, si l’efficacité ne change pas (flèche verte), on obtient le point vert dont l’efficience (la rentabilité) est inférieure au point noir, l’efficacité doit augmenter dans un contexte compétitif.
Passé l’optimum, l’efficacité n’est plus un gain, c’est une réduction de la perte.
Après une phase de croissance, la rentabilité décroit et une part de plus en plus importante de l’énergie utile doit être allouée à la production de machines de plus en plus "chères" (efficaces) et ne peut plus être consommée par les ménages : c’est la récession !
Mais une récession, ce n’est pas la fête du slip politique et le peuple gronde. Cependant, il existe des "solutions" pour y palier, souvent belliqueuses mais toujours musclées mais chuuuuuut, ça, il ne faut pas le dire.
Votre gâteau est appétissant
Si votre gâteau se réduit, vous pouvez lorgner dans l’assiette des voisins les plus faibles.
Si un pays n’utilise pas ses ressources (farine, œufs, pétrole, lithium, gaz, sucre, cobalt…), vous pouvez facilement l’envahir, l’exploiter ou "le coloniser avec affection", l’aider sympathiquement à se développer pour produire des biens et des services à l’aide de motivants gros poutous ou de coups de fouet (c’est au choix).
Ces richesses produites, que vous pouvez ensuite vous accaparer en très grande partie car de toute façon, ils n’en faisaient rien et tout travail mérite salaire non ?
En simplifié, il faut aller créer de la croissance ailleurs afin de l’importer pour calmer temporairement votre population.
Pour ce faire, il vous faut des forces armées pour la conquête et le maintien de l’ordre dominant. Pour se simplifier la vie, il faut viser des pays non développés que vous écraserez avec votre avance industrielle et technologique.
Cependant, comme les lois physiques n’ont pas de frontière, la croissance économique dans la colonie sera suivie d’une décroissance et il faudra une autre source.
Astuce : pour conserver les ressources encore rentables, vous pouvez mettre en place un gouvernement qui vous est favorable afin qu’il fasse le sale boulot à votre place, pour moins cher et en vous dédouanant des violences dans l’ex-colonie.
Le gâteau national
Comme la terre a une surface finie, vient le jour où les régions et populations faciles à exploiter commencent à manquer… il n’y a plus de réservoirs de croissance !
Certes la richesse globale ne croît plus mais vous pouvez jouer sur la répartition.
Pour ce faire, vous devez d’abord contrôler les médias afin de pouvoir stigmatiser une partie de la population : les étrangers, les immigrés, les chômeurs,… afin de pouvoir leur faire les poches avec l’assentiment du reste de la population.
Cependant, il faut absolument éviter que les gens s’unissent car forcément, ils seront de plus en plus nombreux à être privés de gâteau : "Diviser pour régner" sera donc votre devise.
Astuce : chouchoutez vos forces de l’ordre, c’est votre rempart face à la plèbe. Ne soyez ni pingre, ni regardant à la dépense en matériel, ni naïf (un coup d’Etat est si vite arrivé).
Donne ton gâteau
Après la facilité, les faibles d’ici ou d’ailleurs, il faudra bien vous résigner à trouver d’autres sources pâtissières dans d’autres tiroirs qu’ils soient "d’ennemis" ou d’anciens alliés.
Comme pour toute répression musclée, il faut avoir l’assentiment national mais ici, comme ceux que vous voulez aller plumer ont les moyens de se défendre, il faut passer en mode endoctrinement médiatique car pour aller poutrer le voisin, il va vous falloir de l’acier et du sang national (qui ne sera certainement pas le vôtre).
Mais prenez garde car vos ennemis et alliés ont le même livre de règle que vous et leur regard avide devrait vous inquiéter.
"L'ennemi est con, il croit que c'est nous l'ennemi alors que c'est lui." Pierre Desproges.
Pour le gâteau !
Revenons-en à nos soldats dispensables, comment en obtenir ?
Car même avec de la propagande, les champs de bataille ne font pas rêver et donc vous avez plusieurs options.
Tout d’abord, l’armée de métier avec un salaire. Comme c’est la récession, le chômage augmente et surtout chez les jeunes et comme ils n’ont peu ou pas de choix (surtout les pauvres), le gîte, salaire et couvert rempliront vos casernes.
Une autre solution présente de nombreux avantages : la conscription ou service militaire. Alors, certes ces soldats seront moins bien formés et entraînés mais vous en aurez un nouveau lot chaque année et surtout, ils sont pratiquement gratuits car payés uniquement quand ils sont utilisés. Et forcément, sur le champ de bataille, ils ne consomment pas grand-chose et on une tendance à y décéder ce qui réduira également le taux de chômage.
Astuce : ceci vous permettra d’avoir vos jeunes à l’œil et donc de détecter les éléments contestataires ou perturbateurs mais également de les dépenser physiquement et mentalement ce qui réduira toute forme de rébellion… Que voilà un beau projet. Sans vous, ils seraient certainement occupés à zoner dans les rues, à discuter, à se regrouper voire pire : à manifester ! Quelle horreur.
Bref, pensez au service militaire, il vous rendra bien des services.
Les difficultés d'accès à l'énergie fait renaître le Ministère de la Guerre
Vu les contraintes sur les ressources (énergie, minerais, nourriture ou l’eau) actuelles et à venir, le renouveau des Ministères de la Défense risque fortement de se muer en renouveau des Ministères de la Guerre et les services du service militaire seront très probablement utilisés.
Cependant, un élément à graver en mémoire, une part très importante des lecteurs de cet article doivent comprendre que ce sont eux, leurs amis, leurs familles, leurs enfants ou leurs petits-enfants qui partiront au son du clairon avec de probables mirages patriotiques plein les yeux.
C’est comme dans les films catastrophe, on s’identifie au héros survivant alors que dans la réalité, nous les Quidams et les Lambdas, on est décédés dans les 10 premières minutes du film.
Cependant, ceci n’est pas une fatalité et si nous arrêtons la quête du toujours plus, que nous lâchons la compétition pour la coopération, alors il y a de l’espoir mais qui doit rester lucide.
Rubrique de Thomas Norway, spécialiste en systémique de l'énergie. "Je ne suis pour ou contre aucune technologie, je suis pour la compréhension du problème et l’acceptation démocratique des conséquences de nos choix."
"La guerre est une poursuite de l'activité politique par d'autres moyens." Carl von Clausewitz
Bonus
Le refoulement du distributif. Laurent Mermet
Dans cette série spéciale "efficience énergétique"
10. Efficacité : la magie du pétrole
9. Efficacité : produire plus et transporter plus
8. Efficacité : la course mortelle à l’efficacité
7. Efficacité : vers l’infini et l’extinction : Les dinosaures enfin !
6. Efficacité : au début, c’est pas cher
5. Efficacité : le coût de la complexité
4. Efficacité : analogies & astronomie amateure
3. Efficacité : Je ne suis pas gros, je suis efficace !
2. Efficacité : moteur, ça tourne… action !
1. Efficacité : oui, mais c'est cher ! Une perte ou un gain ?