Efficacité : produire plus et transporter plus
Pour croître, les villes se sont spécialisées afin d'avoir une puissance de production plus importantes et les machines ont remplacé la force humaine. Les habitants ont ainsi du temps pour produire de nouveaux biens et services. Dans cette équation, le transport est le symbole du surplus de production, alors que le transport est une pure perte d'énergie écrit Thomas Norway dans ce 9ème épisode de sa série sur l'efficacité.
Quand la nouvelle technologie "machine à vapeur" se développe au XVIII siècle, au début ce n’est pas cher ! La production s’emballe jusqu’en 1800 car chaque nouvelle machine est plus efficace et plus efficiente en produisant toujours plus d’excédents permettant d’innover et d’améliorer.
Après, ça se calme avec un ralentissement de la rentabilité malgré une hausse continuelle de l’efficacité pour atteindre lentement mais sûrement 24% vers 1900. Enfin, après la seconde vague d’expansion coloniale de 1870 à 1914, il n’y a plus de territoires à conquérir et de peuple à asservir. Alors, c’est la guerre car les profits (l’efficience) s’érodent inexorablement pour deux motifs.
D’un côté, l’extraction du charbon devient de plus en plus coûteuse et comme nous l’avons vu précédemment, ceci implique d’augmenter l’efficacité et la taille des machines en induisant une baisse de l’efficience (de la rentabilité).
Et de l’autre côté, plus la production augmente, plus il y a de choses à transporter et comme le transport est une perte qui n’apporte pas de plus-value au produit, ça plombe les profits.
Efficacité => production => transport
Si une nouvelle machine est deux fois plus efficace alors pour la même quantité d’énergie, elle produira deux fois plus !
Mais si la production double, comment évolue la demande de transport ?
Voyons ça avec un exemple avec Saint-Roustan.
Saint-Roustan est une charmante petite ville imaginaire préindustrielle autarcique de 10’000 habitants avec champs, forêts, mine de charbon, mine de fer, petites industries et autres artisans.
Dans un souci didactique et faciliter la compréhension des points clés développés, il est considéré que :
• chaque travailleur fournit une puissance musculaire de 100 watts
• La production totale considérée est de 1'000 unités (de consommation) en mélangeant les bêches, le chauffage, les cours de l’école élémentaire et les chaussettes produites.
• Sur l’ensemble de la production : 90% est consommée pour maintenir le système fonctionnel et 10 % est excédentaire.
Exemple : l’agriculture nécessite de l’acier pour ses outils, du bois pour ses granges, du charbon pour cuire le pain, du pain pour nourrir la main-d’œuvre, des vêtements et autres tissus (pour le moulin à vent ou les sacs de grains) mais également de l’éducation et des soins de santé afin d’avoir une main-d’œuvre qualifiée et en bonne santé.
L’excédent est superflu et n’est pas nécessaire au bon fonctionnement, à la perpétuation de la ville. Sans le superflu, ça serait seulement moins chouette / fun / sympa / agréable : la fête annuelle de la spécialité locale, l’andouillette au hareng à la Lompret, avec un concert musclé et cotillons sont superflus.
Augmenter l’efficience, le surplus
Les valeurs reprises ci-dessous sont simplifiées afin d’obtenir des graphiques lisibles mais le principe exposé est respecté car c’est celui-ci qui prime, qui doit être saisi.
Les habitants fournissent un travail physique pour produire des biens ou des services (B&S), ils ont une puissance donnée (100 watts) pour une taille (volume) donné et donc une efficacité qui ne peut pas être modifiée au contraire des machines mécaniques.
En effet, comme vu précédemment, l’efficacité, le coût et donc l’efficience varient avec la taille de la machine et dans le graphique ci-dessous, il est postulé que :
• La machine 1 (verte) fournit 5 KW à son optimum d’efficience
• La machine 2 (orange) fournit 50 KW à son optimum d’efficience
• La machine 3 (orange foncée) fournit 100 KW à son optimum d’efficience
Pour qu’une machine remplace un ou des humains, il faut que celle-ci soit plus efficiente que ces derniers.
Attention : seules les valeurs positives sont reprises
L’efficience des humains est linéaire car chaque humain a une consommation identique pour fournir une puissance identique et donc avec une efficience identique.
10 humains seront 10 fois plus efficients que 1 humain, ce qui donne la ligne bleue ci-dessus.
Pour les machines, on a une efficience en forme de cloche qui sera d’autant plus haute et décalée vers la droite que la machine est puissante.
• La courbe verte 5 KW à son optimum d’efficience
• La courbe orange 50 KW à son optimum d’efficience
• La courbe épaisse orange foncé 100 KW à son optimum d’efficience
La machine 1 verte fonctionnant à 5 KW pourrait remplacer 50 humains (50 * 100 watts = 5 KW) en étant aussi efficiente que les humains (le point noir) en ne produisant pas d’excédent supplémentaire.
Cependant, à partir de cette machine 1, les machines deviennent plus efficientes que les humains (flèches mauves), plus efficient signifie qu’il y a plus de surplus générés et il y a un excédent supplémentaire.
Gain d’efficience = efficience de la machine – efficience des humains
Attention : seules les valeurs positives sont reprises
Sur ce graphique, la machine 1 verte n’apparait pas car elle n’apporte pas de gain d’efficience par rapport aux humains. La machine 3 plus puissante est bien plus efficiente que la machine 2.
Le grand remplacement
Les activités qui occupaient plus de 50 personnes (5 KW) faisant la même tâche en même temps sont regroupées au sein d’une même unité de production et la puissance initialement requise est assurée par une machine à vapeur.
On peut par exemple regrouper 50 forges (ou atelier textiles) occupant chacune 10 personnes et les remplacer par une machine à vapeur de 50 KW.
Le remplacement créé un excédent, qui a pu être utilisé pour produire plus de matières premières et créer de nouveaux emplois ce qui a augmenté le nombres de biens et services disponibles et la production totale a dépassé les 1'000 unités initiales.
Reprenons les forges, une machine de 50 KW donne de bons excédents mais moindres qu’une machine de 100 KW et minimes par rapport à une machine de 1 MW.
Mais, en étant en autarcie, :
1) Augmenter la puissance demanderait plus de main-d’œuvre et se ferait donc au détriment d’autres secteurs car la population est limitée
2) Augmenter la puissance, augmenterait la production que personne ne pourrait exploiter (cf. 1 ci-avant) et en autarcie, il n’y a pas d’exportation.
Ajouter l'exportation si le transport est financièrement possible
Pour résoudre ces problèmes, prenons maintenant Dubaya, une ville identique proche et combinons leurs productions à l’aide de transports.
• Saint-Roustan produit l’acier forgé pour les deux villes avec une machine de 100 KW (la production initiale de 50 KW de Saint-Roustan et de 50 KW de Dubaya)
• Dubaya reprend pour sa part la production de textiles commune avec une machine de 100 KW également
Si les nouveaux excédents dépassent le coût du transport, alors il y a un gain commun pour les deux villes et il est possible de spécialiser des villes en y regroupant une production spécifique qui sera ensuite échangée contre d’autres produits via de plus en plus de transports.
L’augmentation du transport
Considérons que le transport au sein de la ville est négligeable, que chaque ville est éloignée de 10 km des autres (ligne bleue du schéma ci-dessous) et que chaque ville produit et envoie une tonne à chaque autre ville du réseau (elles sont connectées).
De gauche à droite :
2 villes sont connectées, A envoie 1 tonne à B et B envoie 1 tonne à A
3 villes sont connectées et chacune d’elles envoie 2 tonnes au total (ex : A envoie 1 tonne à B et 1 tonne à C) pour un total de 60 Tonne-kilomètres(*) car les 3 villes envoient chacune 2 tonnes qui vont parcourir chacune 10 kilomètres : 3 X 2 X 10 = 60 tonnes par Km (TKM).
Quand 4 villes sont connectées, les échanges de marchandises de A et de D vont devoir parcourir 20 kilomètres (en mauve).
En continuant la logique, on obtient les résultats suivants :
(*) Une tonne-kilomètre (TKM) est une unité de mesure logistique qui multiple
les tonnages par les distances. 10 TKM = 10 tonnes qui font 1 km ou 1 tonne qui fait 10 km
Le transport (TKM) est au carré du nombre de villes connectées
Le besoin en transport croît plus rapidement que les gains de production
Comparaison n’est pas raison mais cette évaluation sommaire est instructive au regard du proxy du transport, la consommation de pétrole qui, sur la période 1940-1972, a également augmenté exponentiellement (au carré voir ci-dessous) avec une consommation multipliée par 10 alors que le PIB mondial n’a été multiplié que par 3 sur la même période.
Le besoin de transport croît bien plus rapidement (exponentiellement) que les gains de production.
Le transport est une perte d'énergie
Cependant, le transport est une perte car un produit a la même valeur peu importe sa provenance et c’est une perte exponentielle qui doit être compensée par le gain généré par l’augmentation de la puissance de production.
Dans le cas contraire, le transport consomme plus de biens et de services que le surplus généré alors : les biens et les services disponibles pour les ménages diminuent et c’est la récession.
Se spécialiser pour une production plus importante
Afin d’augmenter la rentabilité – l’efficience de la production – et continuer à croitre toujours plus haut, toujours plus vite, les villes se sont spécialisées afin d’avoir une puissance de production plus importante : les machines ont remplacé des humains rendus disponibles pour produire de nouveaux biens et services.
Pour ce faire, les transports ont dû être développés (fluviaux, chemins de fer et marine à vapeur) afin d’assurer de plus en plus d’interconnexions entre les villes.
Cependant, cette perte d’énergie requise pour les transports augmente bien plus rapidement que les gains de l’augmentation de la puissance des machines en réduisant rapidement les gains escomptés voire pire, en engendrant une récession.
N’hésitez pas à lire ou relire l'article de la croissance du charbon aux guerres mondiales
Rubrique de Thomas Norway, spécialiste en systémique de l'énergie. "Je ne suis pour ou contre aucune technologie, je suis pour la compréhension du problème et l’acceptation démocratique des conséquences de nos choix."
Pour terminer :
"La réalité ne peut être ignorée qu'à un certain prix, et plus l'ignorance persiste, plus le prix à payer est élevé et terrible." Aldous Huxley
"Il n'est pas bon de s'attarder sur des rêves et d'oublier de vivre." Albus Dumbledore
Dans cette série spéciale "efficience énergétique"
10. Efficacité : la magie du pétrole
9. Efficacité : produire plus et transporter plus
8. Efficacité : la course mortelle à l’efficacité
7. Efficacité : vers l’infini et l’extinction : Les dinosaures enfin !
6. Efficacité : au début, c’est pas cher
5. Efficacité : le coût de la complexité
4. Efficacité : analogies & astronomie amateure
3. Efficacité : Je ne suis pas gros, je suis efficace !
2. Efficacité : moteur, ça tourne… action !
1. Efficacité : oui, mais c'est cher ! Une perte ou un gain ?