Efficacité : Transition, le contexte à venir
Par Thomas Norway – Une transition consiste à passer d’un point A à un point B, soit d’un contexte socio-économique initial à un autre contexte, qu’il soit désiré ou imposé.
Les énergies fossiles deviennent de plus en plus rares, et leur exploitation cause des dommages graves à la biosphère, menaçant même sa pérennité. Il devient donc impératif de s’en passer. Ainsi, les sociétés humaines sont amenées à évoluer vers un nouveau contexte socio-économique qu’il est pertinent d’anticiper et d’explorer dès maintenant.
Rappel - Illustration simplifiée
Pour conclure cette série d’articles sur l’efficacité et rendre les concepts exposés aussi clairs que possible, nous allons revisiter les grands principes de cette série à l’aide d’une illustration simplifiée.
Dans une communauté, chaque paysan produit une quantité d’énergie valant X, sous forme de nourriture, permettant de nourrir un certain nombre de personnes.
Par exemple, si il faut 2 unités de nourriture pour nourrir une personne alors :
• Si X = 2, le paysan ne peut nourrir que lui-même. Sans enfants pour lui succéder, la communauté s’éteint rapidement.
• Si X se situe entre 10 et 20, on retrouve un contexte socio-économique comparable à celui de l’Europe au 16ᵉ siècle, avant l’introduction de la pomme de terre.
• Plus X est élevé, plus il y a de personnes disponibles pour créer des biens et des services pour l’ensemble du village, y compris le paysan : maisons, outils, éducation, objets, services médicaux, routes, spectacles, ou même du temps libre.
Principe clé : plus la quantité d’énergie X est grande pour un même investissement (par exemple, un paysan et ses outils), plus le village peut atteindre un niveau de complexité et de développement technologique élevé, et ce, indépendamment du nombre total de paysans.
Production absolue et relative
Si un paysan produit suffisamment de nourriture pour permettre au village de construire et renouveler ses maisons, outils, infrastructures, objets et même sa population (via les enfants), alors :
• Deux paysans pourront nourrir une population deux fois plus importante qui produira deux fois plus de biens et services. Toutefois, avec deux fois plus de population, la quantité de biens et services par personne restera inchangée.
• Bien que des économies d’échelle soient possibles (en mutualisant certains biens ou services), elles sont limitées par des contraintes telles que le transport
Principe clé : la complexité et le niveau technologique de la société sont donc dépendants de la quantité d’énergie (nourriture) que peut fournir un investissement donné (paysan, faux, charrue,…)
Cependant, il est possible de changer l’efficacité des outils, machines et procédés (le niveau de complexité et technologique) afin d’influencer l’efficience.
L’efficience - exemple
Concentrons-nous sur une partie de l’investissement afin d’illustrer le principe : la faux.
Plus une faux est affûtée, plus le paysan peut faucher efficacement et rapidement : la faux sera plus efficace.
Cependant, à mesure qu’il fauche, le tranchant de la lame s’émousse, nécessitant un nouvel affûtage.
• Obtenir une lame peu tranchante est rapide et facile
• Obtenir une «lame de rasoir » est long et laborieux
Il y a un équilibre entre le temps consacré à l’affutage et le temps consacré au fauchage
Il faut donc trouver le temps consacré à l’efficacité de la lame (son tranchant) qui optimise l’efficience : la quantité de blé fauché et donc "produit" par jour.
• Affûtage insuffisant : On ne fauche presque rien, car la faux écrase les blés au lieu de les couper.
• Affûtage minimal : On fauche laborieusement et donc lentement, ce qui réduit la production.
• Affûtage excessif : On consacre trop de temps à affûter et peu à faucher, ce qui limite la récolte.
• Affûtage extrême : On passe tout son temps à affûter et on ne fauche jamais.
Principe clé : il existe un niveau optimal d’efficacité pour l’outil, la technologie utilisée, qui maximise l’efficience. Ce maximum d’efficience représente le meilleur équilibre possible entre affûtage et fauchage, c’est l’optimum.
L’efficience - généralisation
Le principe de l’optimum d’efficience peut être appliqué à toute technologie, à condition de prendre en compte le coût réel, c’est-à-dire l’ensemble des coûts associés :
• Les coûts directs : le coût de l’objet en lui-même
• Les coûts indirects : tout ce qui a permis la création de cet objet (ressources, éducation, infrastructures, énergie, R&D, assurances, main-d’œuvre, etc.).
Le contexte socio-économique est déterminé par X.
Lorsque l'ensemble des technologies qui composent une société (par exemple, la faux, la meule, la construction, le chauffage, la charrue, la scierie, la métallurgie, etc.) atteint son niveau d’efficience optimal selon le mix énergétique consommable, cette société cesse d’évoluer.
Elle se trouve alors à un état d’optimum absolu : toute modification ne peut aboutir qu’à une performance inférieure.
Principe clé : sauf en cas de choix délibéré, d’ordre socio-politique et motivé par des considérations non énergétiques (comme la protection de l’environnement), qui réduirait volontairement l’efficience(*), seule une modification du X du mix énergétique consommé peut réellement transformer le contexte socio-économique.
Cette modification peut être liée à l’usage d’une nouvelle source d’énergie plus facile à exploiter, à la découverte de nouveaux gisements ou encore à la dégradation des sources et gisements exploités.
(*) J’illustre souvent ce principe avec une phrase concise : "L’énergie impose et la société dispose."
La modification due à une nouvelle source d’énergie
Lorsqu’une nouvelle source d’énergie plus efficiente peut être exploitée, elle entraîne une évolution technologique afin d’atteindre le nouvel optimum d’efficience supérieur à l’initial.
Le passage de la faux à la moissonneuse-batteuse constitue donc une avancée technologique qui a été rendue possible par l’exploitation d’une source d’énergie plus facile à mobiliser, plus efficiente : le pétrole.
Ou encore, la révolution industrielle a connu son essor lorsqu’une nouvelle source d’énergie alimentaire, la pomme de terre, a été exploitée
• Pour être exploitée, une source d’énergie peut requérir de dépasser un seuil, une « taille » de société suffisante :
• Exemple : l’usage de la vapeur était connu depuis 2'000 ans.
Principe clé : une nouvelle source d’énergie plus facile à exploiter (plus efficiente) permet d’augmenter la complexité et le niveau de technologie tout en améliorant le contexte socio-économique.
La modification due à la raréfaction de l’énergie
Si une ressource énergétique se raréfie alors elle devient plus complexe à exploiter et son efficience se réduit.
La société doit alors également se complexifier et améliorer ses technologies pour éviter une baisse brutale de l’approvisionnement, il faut investir toujours plus pour obtenir la même chose.
Principe clé : une source d’énergie dont l’efficience se réduit impose d’augmenter la complexité et le niveau de technologie tout en dégradant le contexte socio-économique car une part toujours plus importante des biens et services est consacrée uniquement à maintenir le flux énergétique constant.
Le X de l’électricité actuelle
Sur base des données du département de l’énergie américain (QTR 2015 - Quadrennial Technology Review 2015)
Tonnes de différents matériaux nécessaires pour produire 1 TWh électrique selon la technologie, source ici
Le graphique exprime le tonnage des matériaux (aluminium, béton, cuivre acier…) nécessaires pour produire 1 térawattheure (TWh) d’électricité.
1 TWh = 1 milliard de kilowattheure
Analogie avec l’illustration :
• La faux : le tonnage des matériaux
• Le blé : 1 TWh
Sur le graphique, force est de constater que malheureusement les énergies renouvelables, nécessaires pour réduire l’usage des délétères énergies fossiles, requièrent une quantité de matériaux bien supérieure aux autres sources d’énergie pour produire une même quantité d’électricité.
Mais, le grand absent du tableau est le pétrole car on s’en sert peu pour faire de l’électricité.
Le X du pétrole actuel
Prenons un cas extrême de production : une station offshore géante telle que la station Hebron flottant sur 100 mètres d’eau avec un « petit » gisement à plus de 3 kilomètres sous terre.
Source : ici
En considérant la plateforme, la raffinerie, le transport (tanker, pipeline et camions) et les pertes de production, le TWh de pétrole raffiné requiert moins de 300 tonnes de matériaux (acier majoritairement)
Le pétrole convertit en électricité requerrait dès lors moins de 1.000 tonnes de matériaux pour produire 1 TWh d’électricité.
Le X du pétrole historique
L’exemple supra est un cas extrême car les premiers puits de pétrole étaient beaucoup plus aisés (efficients) à exploiter avec des gisements sur terre, volumineux, de très bonne qualité et peu profonds.
A l’époque et durant plusieurs décennies, l’investissement énergétique a été plus de 10 fois inférieur à celui de la station offshore de notre exemple et à peine quelques dizaines de kilos de matière étaient nécessaires pour obtenir un TWh.
Electricité versus fossiles
Nos sociétés modernes consomment de nombreuses énergies dont l’électricité, qui représente moins de 20% de la consommation finale d’énergie selon l’IEA.
L’électricité permet d’être très efficace mais peut induire une réduction de l’efficience.
En effet, l’électricité requiert tout d’abord plus de matières pour être produite mais également pour sa distribution, sa qualité (240V / 50Hz), sa gestion car l’offre doit être impérativement toujours égale à la demande mais également pour la consommer.
Prenons un exemple parlant qui exprime ce point : les voitures
Source : ici
Une voiture électrique consomme une quantité bien plus importante de matières que son homologue thermique.
Dans un contexte socio-économique consommant majoritairement des énergies efficientes fossiles, l’électrification peut être intéressante pour certains usages mais n’est certainement pas une solution miracle.
De même, la conversion de l’électricité en hydrogène est également intéressante mais provoque également une baisse importante de l’efficience.
Enfin, de nombreux secteurs tels que les infrastructures routières, les industries pharmaceutique ou des polymères (plastiques) sont éminemment dépendantes des dérivés de l’industrie du pétrole. Fabriquer ces composés via l’électricité est possible mais ils sont bien plus coûteux en énergie à produire et donc moins efficients.
Principe clé : l’électricité peut être utilisée très efficacement mais a un « coût » important qui réduit son efficience car la complexité de son exploitation induit des pertes et des investissements complémentaires depuis sa production jusqu’à son usage. De ce fait, aucune production électrique (nucléaire incluse) ne peut atteindre, même de loin, l’efficience des énergies fossiles historiques.
Et donc ?
Les trente glorieuses (1945-1975) sont compréhensibles vu :
• Le X très élevé des énergies fossiles historiques (pétrole en tête) dû à un coût énergétique d’exploitation remarquablement bas
• le Principe clé suivant : une nouvelle source d’énergie plus facile à exploiter (plus efficiente) permet d’augmenter la complexité et le niveau de technologie tout en améliorant le contexte socio-économique.
Le déclin (dette, chômage,…) après 1975 est également compréhensible vu :
• La raréfaction des énergies fossiles
• Le Principe clé suivant : une source d’énergie dont l’efficience se réduit impose d’augmenter la complexité et le niveau de technologie tout en dégradant le contexte socio-économique
Donc :
Le pétrole onshore des USA, d'URSS, et du Moyen-Orient était presque gratuit : il a permis l'envolée des Trente Glorieuses et un déluge d'excédents utilisables qui ont inondé de loisirs les foyers et les cités (des pays riches surtout), multipliant les machines parfois aussi complexes qu'inutiles.
Mais les puits se tarissent et les coûts s’envolent en entraînant nos illusions de croissance infinie dans leur sillage, nous faisant perdre de vue le goût des choses simples car AUCUNE énergie ne pourra atteindre un tel niveau d’efficience.
Le contexte final
L’efficience des énergies que nous consommons ne peut que baisser, ce qui va entraîner une baisse importante de la complexité de nos sociétés et du niveau technologique moyen de nos sociétés.
La suffisance énergétique, la sobriété, aura lieu de gré ou de force.
Colère, peur, angoisse ?
Je comprends parfaitement ceci et je vous propose deux questions :
Tendance de la consommation d’antidépresseurs dans 12 pays de l’UE depuis les années 2000
Question : est-ce que cette évolution de la consommation d’antidépresseurs reflète un contexte socio-économique sain et enthousiasmant ?
Question : est-ce que le confort, le bonheur et la tranquillité requièrent un haut niveau de complexité et de technologie ?
Et oui !! Il y a des éléments de nos sociétés qui ne peuvent se passer de technologie tels que la santé ou la Défense, mais moins de technologie ne signifie pas « pas de technologie du tout » et justement, ce sont ces technologies qui nous sont vraiment utiles et nécessaires que nous devons et pouvons conserver.
Conclusion
Les lois physiques sont non négociables au contraire des lois sociales qui régissent nos sociétés.
Il est donc URGENT d’intégrer que si nous continuons à ne pas (com)prendre les problèmes énergétiques ET environnementaux à bras le corps, il est extrêmement probable que cela se finisse dans le sang et dans les larmes.
Rien ne peut palier la baisse de l’efficience du pétrole! Le contexte socio-économique va décroitre de gré ou de force.
Si nous continuons à consommer des énergies fossiles, c’est l’avenir de l’humanité qui est en péril : nous, nos enfants et tous les autres êtres vivants.
Optimisme lucide
Cependant, nous avons accumulé une pyramide de connaissances et des gigatonnes de métaux qui peuvent être recyclés à moindre coût et ce stock sociétal pourrait permettre de maintenir une société moins complexe, moins puissante ; une société très différente de celle que nous connaissons actuellement dans les pays riches mais néanmoins confortable, sécurisante et agréable : soins de santé, éducation, défense (*), loisirs simples, échanges sociaux, nourriture locale… et surtout du temps de qualité !
Cette richesse nous laisse une marge de manœuvre suffisante pour nous laisser le choix (démocratique) du type de société que nous voulons.
Pour y arriver, il faut arrêter le déni de réalité, ouvrons les yeux et arrêtons d’être égoïstes : unissons-nous, essayons de nous comprendre mutuellement afin que tous les peuples collaborent pour écarter le modèle actuel de consommation suicidaire qui génère souffrances, frustrations, angoisses et peurs, pour nous tourner vers une société plus calme, plus douce… plus humaine.
Enfin et concernant les lois sociales, n’oublions JAMAIS que :
Les politiciens et politiciennes sont nos employés, nous les payons parfois grassement afin qu’ils servent le Peuple Souverain et aucune loi sociale n’est immuable ou trop compliquée à mettre en œuvre.
*ce qui est pris à gauche peut être donné à droite car en cas d’échec de la collaboration, il ne faudra pas être naïf et préparer notre Défense ! Voir les vidéos du brillantissime et défunt Laurent MERMET.
Rubrique de Thomas Norway, humaniste misanthrope à l’espoir lucide avec l’aide et le soutien inestimables mais estimés de Françoise Ecken, Jean-Didier Bois et Laurent Horvath,
"Ceux qui luttent ne sont pas sûrs de gagner, mais ceux qui ne luttent pas ont déjà perdu." Bertolt Brecht
Dans cette série spéciale "efficience énergétique"
10. Efficacité : la magie du pétrole
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8. Efficacité : la course mortelle à l’efficacité
7. Efficacité : vers l’infini et l’extinction : Les dinosaures enfin !
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1. Efficacité : oui, mais c'est cher ! Une perte ou un gain ?