Bioénergie : la chlorophylle good ?
Par Thomas Norway – Le soleil ça permet aussi de faire pousser des trucs comme des arbres, de l’herbe, des pastèques ou des pommes de terre. La biomasse, si elle n’est pas détruite par des pluies diluviennes, un nuage de sauterelles, un incendie, le manque d’eau, des ravageurs locaux ou importés et bien ça a l’air sympa de loin quand même pour produire de l’énergie utile aux humains ou des balades aussi champêtres que romantiques.
Mais de près, avec des chiffres et des calculs, est-ce que la bioénergie serait pertinente pour la transition des sociétés humaines ?
A vos calculettes et règle de trois : 5,4,3,0
Le bois
Une forêt, on peut en faire plein de choses comme à tout hasard la laisser elle, son carbone et ce qui y vit tranquille. Ça serait ballot de cramer du bois pour produire de l’énergie pour capter du CO2 quand même ; un arbre fait ça très bien tout seul ET sans externalité si on lui fout la paix, mais bon…
Si on décide quand même de la couper entièrement ou pas, on peut utiliser le bois pour faire des trucs "utiles" :
• de l’énergie
• du stockage de carbone long terme sous forme d’habitats, de lits à baldaquin ou de ukulélés
• des consommables comme du papier hygiénique, des livres ou des engrais (via du gaz de synthèse)
Le potentiel énergétique du bois
Avant toute chose, quel serait le potentiel énergétique du bois en UE-27 avec ses 4 millions de km² (dont 40% de forêts) et 450 millions de citoyens ?
1 million de km² "facilement" exploitables, non protégés et en exploitation durable donnerait environ 2'000 TWh.
Cependant, dans l’envisageable éventualité hypothétique d’une durable sobriété sympathique (rime triple en mots comptent double), planifiée intelligemment visant la sobriété et l’efficacité (pyrogazéification, post-combustion, cogénération…) et sans trop de problème d’incendies/inondations : le bois-énergie pourrait représenter un maximum de 4'400 KWh par an et par citoyen pour 38'000 KWh actuellement.
Bien entendu il faudra soustraire les autres usages non-énergétiques "utiles" à ce montant.
De plus, si la chaleur est convertie en électricité, cela se fera avec une perte de minimum 50% sous forme de chaleur basse-température qui peut être récupérée uniquement si un besoin utile de cette chaleur existe d’où la nécessité de planification intelligente (aménagement du territoire, production,…)
Le pas-bois
UE27 dispose de 1 million de km² de sols cultivés et 0,8 million de km² de prairies. Les différents sols et climats induisent une grande disparité de production (type et quantité) et il faut donc éviter le biais classique du "oui, mais moi dans mon jardin".
En supposant que l’on conserve les prairies pour de l’élevage extensif afin de conserver de la viande au menu, cela donnerait entre 5 et 50 kg de viandes par an et par citoyen.
Pour les besoins alimentaires diversifiés annuels moyens par citoyen de 1'100 kWh (950'000 Kcal) en incluant également moins de 10 kg de poisson (afin de restaurer les ressources halieutiques), une surface d’environ 1'000 m² en exploitation mécanisée est requise pour un total de 0,45 million de km² auxquels il faudrait rajouter des surfaces de jachères et des surfaces pour produire le carburant des tracteurs (de 0,05 à 0,1 million de km²) afin d’éviter que lesdits citoyens ne passent leurs journées dans les champs.
Cette surface pourrait être réduite en augmentant le travail manuel mais la contrepartie serait que ces travailleurs seraient peu ou pas disponibles pour produire ou fournir d’autres biens et services… permaculture ou pas.
UE27 pourrait donc être indépendante pour son alimentation en gérant correctement les engrais mais le pas-bois et ses déchets laissent peu de marge de manœuvre pour produire de l’énergie supplémentaire (<1'000 kWh par an et par citoyen) et sans compter les potentiels usages non-énergétiques comme de la paille pour l’isolation, des fibres textiles, des fertilisants… à tout hasard.
En effet, la surface requise par citoyen pourrait fortement augmenter sans un approvisionnement en engrais adéquat (importation et économie circulaire) ou pour toute autre chute de rendement liée au contexte environnemental (météo, nuisibles, maladies…)
Remarques
1) la bioénergie est très humide et il faudra donc la sécher pour éviter de transporter de l’eau pour rien.
C’est une perte à limiter via le séchage naturel par exemple.
2) La bioénergie est peu dense énergétiquement et il faudra donc limiter la perte liée aux transports (distances et efficacité).
3) les productions "agricoles" marines ne sont pas prises en considération car l’exploitation est plus complexe, l’efficacité photosynthétique marine est plus faible et l’eau salée pose pas mal de problèmes.
4) Les externalités (dont le CO2) du bois-énergie sont fortement liées au type d’exploitation et n’est pas forcément neutre en carbone, loin de là ! Une mauvaise gestion peut avoir un facteur d’émission supérieur au gaz par exemple.
Les rôles de la Biomasse
Dans une société sobre, le bois et la biomasse peuvent être une source de matières utiles et nécessaires et le bois un complément d’énergie.
Complémentaire car l’apport sera (très) limitée selon ce que la société souhaite privilégier (énergie, matière, biodiversité, puits de carbone…) et le degré de sobriété.
Cette corde supplémentaire à notre arc ne doit pas être surévaluée et devra faire l’objet de nombreuses attentions afin d’être réellement utile, durable et pérenne car toute surexploitation ou mauvaise gestion aura des conséquences désagréables ou contreproductives.
Rubrique de Thomas Norway, spécialiste en systémique de l'énergie. "Je ne suis pour ou contre aucune technologie, je suis pour la compréhension du problème et l’acceptation démocratique des conséquences de nos choix."
Pour terminer cette rubrique :
"La sobriété, ce n’est pas vivre plus mal, c’est apprendre à vivre mieux." Dominique Bourg
"Énormément d’intelligence peut être mise au service de l’ignorance quand le besoin d’illusion grandit." Saul Bellow