Prix de l’essence: ne touchez pas à ma liberté

Le prix du pétrole a dépassé la barre des 100 dollars. "Dieu que les carburants sont devenus chers" est une phrase tirée des sujets des conversations phares de l’après-covid. L’essence, pas le mazout ou le kérosène, pourtant bien plus douloureux pour le porte-monnaie.

Pourquoi sommes-nous si chatouilleux sur la hausse des prix de l’essence, alors que quand Apple propose des iPhones à des tarifs prohibitifs, la cohue est grande, alors que sur le métavers le temps d’écrire cette phrase, 600 paires de chaussures virtuelles Nike, à 3 mille dollars, ont été vendues?

 

Une des explications se cache au fin fond de notre boîte crânienne. Le cerveau adore et privilégie le sentiment de liberté. L’humain peine à se faire dicter ses choix.

Les expériences scientifiques relèvent que l’usage de la phrase «vous êtes libre de…» démultiplie les ventes. «Je vous conseille le plat du jour, mais vous avez aussi la carte. Vous êtes libre de choisir entre les deux.» Grâce à cette formule magique, les ventes du plat du jour seront multipliées par deux. A contrario, le «vous devez installer une pompe à chaleur et non un chauffage à mazout» aura le même impact que le fameux «vous devez vous vacciner».

 

Le parc automobile le plus puissant d’Europe

Ainsi, une hausse du prix de l’essence est traitée comme une réduction de la capacité à se déplacer et devient une entrave à la liberté. Liberté, dont la voiture est l’un des symboles, comme le tabac, mais sans le cow-boy.

Avec l’apparition des vols bon marché, l’avion est également rentré dans cette catégorie. Toutes tentatives de réglementer le prix des billets entrent en opposition frontale avec notre inconscient.

On remarquera que les augmentations des primes d’assurance maladie, financièrement bien plus douloureuses, ne déclenchent pas ce mécanisme. Ce domaine n’empiète pas la liberté en général, mais celle de la sécurisation de la santé, objectif bien plus honorable. Les assureurs l’ont bien compris et s’en donnent à cœur joie.

 

Pour 300 francs par année, t'as plus rien

La Suisse possède le parc automobile le plus puissant d’Europe avec une moyenne de 6,39 litres par 100 km et 13 500 km parcourus par année. Une augmentation de 40 centimes par litre d’essence équivaut à 345 francs sur un an.

Dans les faits, selon le TCS, l’essence ne représente qu’un dérisoire 16% dans les coûts d’une voiture, loin derrière les assurances, les pneus et les services d’entretien. A lui seul, un parking Park&Rail annuel des CFF, pour prendre le train, dépasse le budget essence. Et pourtant, on le paie sans broncher.

 

Un litre de Coca-Cola coûte plus cher qu’un litre de brut

En toute logique, comme les Suisses acquièrent des voitures très gourmandes, il faudrait respecter ce choix affiché de consommer plus d’essence. Cependant, certains politiciens ont immédiatement glissé le pied dans la porte et demandé de réduire les taxes. L’argument utilisé sonne comme une douce musique: aider ceux qui n’ont pas d’autres moyens de se déplacer.

Le choix de faire porter le fardeau par le secteur public est intéressant. Lors du dernier trimestre 2021, les majors pétrolières comme BP, Shell, ENI ont cumulé plus de 50 milliards d’euros de bénéfices. Il est paradoxal que le gouvernement français allège les prix de l’essence pour un montant de 2 milliards d’euros en puisant dans les impôts alors que Total vient d’engranger 14 milliards de bénéfices.

Depuis un siècle, l’industrie pétrolière n’a pas réussi à valoriser son produit à sa juste valeur. Un litre de Coca-Cola coûte plus cher qu’un litre de brut. Pourtant à quantité égale, un litre de la boisson gazeuse permet de parcourir, à pied, 5 kilomètres en une heure pendant que le pétrole traîne 2 tonnes de ferraille sur 10 kilomètres et en moins de 5 minutes.

Alors que les gisements s’épuisent, notre cerveau va devoir s’adapter. L’avènement de la voiture électrique, voire de l’hydrogène, pourrait radicalement changer notre perception d’une mobilité au kilométrage illimité et quasiment gratuite.

Avec une voiture électrique, notre liberté se borne à 300 kilomètres ou à la prochaine prise. Pour notre cerveau est-ce que cela produira un électrochoc.

 

Merci à Yves FRANCOIS pour son éclairage

 

 

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