Le dollar américain attaqué par la Chine 

La force des grandes puissances se mesure au travers de trois piliers majeurs: militaire, financier et démographique. Dans sa course au leadership mondial, la Chine peut compter sur la deuxième plus grande population du monde, et les muscles de son armée semblent en mesure de s’engager dans un bras de fer avec les Etats-Unis.

Le dernier obstacle qui barre la route aux ambitions hégémoniques du président Xi Jinping est la faiblesse de sa monnaie. 

Le dollar américain représente plus de 58% des réserves monétaires mondiales contre seulement 2,7% pour le yuan, selon le Fonds monétaire international. Les sanctions américaines contre les institutions financières russes ont montré aux Chinois la nécessité de s’extirper de ce cadre et d’en proposer un nouveau.

La guerre en Ukraine offre cette opportunité d’accélération, d’autant que des nuages sont en train de s’amonceler sur Washington, même si le dollar américain n’a pas perdu de son attractivité, notamment dans les transactions pétrolières et d’énergie.

Une réponse scrutée

Cependant, les républicains et les démocrates s’écharpent sur la manière de relever le plafond de la dette, qui dépasse déjà les 31 000 milliards de dollars. Comme dans les meilleurs films hollywoodiens, c’est à la dernière minute qu’une solution sera trouvée.

Combien de temps encore les Etats-Unis pourront-ils vivre au-dessus de leurs moyens?

Cet énième épisode du feuilleton de la dette commence à jeter un doute sur la durabilité de cette spirale, d’autant que les débats politiques se radicalisent. Jamais la population américaine n’avait été aussi divisée et les élections de 2024 ne semblent pas avoir le potentiel de réunir le pays sous un seul étendard.

Enfin, les extractions de pétrole et de gaz de schiste sont en train de montrer des signes d’épuisement. Lors de la crise de 2008, la découverte de ces hydrocarbures avait permis au pays de redémarrer avec des carburants bon marché tout en diminuant sa dépendance au Moyen-Orient. Quel sera le plan B du prochain président pour compenser la perte des forages américains? Sa réponse sera scrutée.

La Chine avance ses pions

Du côté chinois, le plan de route a été explicité par le président Xi Jinping. «La Chine continuera d’importer de grandes quantités de pétrole brut, augmentera ses importations de gaz naturel liquéfié, renforcera sa coopération en matière de développement pétrolier et gazier en amont, de services d’ingénierie, de stockage, de transport et de raffinage, et utilisera pleinement la bourse nationale du pétrole et du gaz de Shanghai comme plateforme pour régler en yuans les achats de pétrole et de gaz.»

Un terme cher à porter

On comprend mieux les efforts de paix chinois orchestrés avec succès au Moyen-Orient auprès de l’Iran et de l’Arabie saoudite. L’achat d'énergies en yuans est un formidable accélérateur et un sacré défi pour le dollar américain.

Bien que l’idée ne soit pas nouvelle, cette fois les conditions semblent réunies pour une application pratique. Même le géant français TotalEnergies a effectué ses premiers versements dans la monnaie locale auprès de la toute nouvelle place boursière, la Shanghai Petroleum and Natural Gas Exchange.

Cette contagion de l’utilisation du yuan s’est rapidement diffusée auprès des autres pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde et Afrique du Sud), qui voient dans cette alternative un moyen de sortir de l’éteignoir américain.

Pour conforter les investisseurs dans la solidité de sa monnaie, la Chine la garantit avec des réserves de terres rares et d’or, alors que depuis l’abandon du système monétaire mondial, mis en place à Bretton Woods en 1922 avec un rattachement nominal à l’or du dollar, les Etats-Unis ne comptent que sur la confiance comme mètre étalon pour leur monnaie.

Alors que ces deux protagonistes croulent sous les dettes, lequel sera le mieux équipé pour faire face à une baisse des extractions pétrolières et une diminution d’énergies à disposition à travers le monde?

Le terme «grande puissance» est de plus en plus cher à porter.

Egalement publié dans le journal Le Temps