Areva: La gestion calamiteuse d'Anne Lauvergeon
L'interrogation portait sur le niveau de l'ardoise réalisée par l'ancienne patronne d'Areva Anne Lauvergeon. Débâcle on s'en doutait, restait à en connaître la profondeur. La Cours des comptes française vient d'apporter la réponse.
L'institut a passé au crible la gestion d'Areva entre 2006 et 2012, et les conclusions de son rapport préliminaire, révélé par Les Echos dans son édition du 13 mai, sont très sévères pour l'ex CEO Anne Lauvergeon: de la gouvernance et des relations avec l'Etat actionnaire jusqu'au rachat coûteux d'UraMin en passant par le fiasco financier du réacteur EPR d'Olkiluoto (Finlande), c'est une stratégie générale de fuite en avant et l'égo surdimensionné d'une dame de fer.
Perte de 494 millions Euro en 2013
« La situation d'Areva est inquiétante car l'entreprise ne parvient pas à financer son développement ». Mme Lauvergeon incarne ces années, et la Cours lui impute une bonne part de responsabilité dans les difficultés actuelles d'Areva, qui a accusé une nouvelle perte en 2013 (494 millions d'euros) pour la troisième année de suite. Certaines « proviennent avant tout de sa forte personnalité » d'« Atomic Anne » et « de la concentration du pouvoir réel dans les mains de la présidente ».
Vente à tout prix du Premier EPR en Finlande
La Cour dénonce des « procès-verbaux elliptiques » de réunions » ou des « séances tenues sur le papier », mais aussi ses augmentations de salaires lors de son second mandat « fondée pour une large part sur des taux de réussite faussement précis ». Il est incroyable qu'en 2003, le directoire ait « pu prendre seul la décision de signer le contrat de l'EPR finlandais OL3, source d'une perte de plus de 3 milliards d'euros pour Areva », écrivent les rapporteurs, qui doutent d'une mise en service du réacteur en 2014, comme Areva le promet après cinq ans de retard.
Le client finlandais, TVO décrit un fournisseur « prêt à tout pour vendre son premier EPR, dont le design n'était pas encore assez avancé ». Dans le cadre de l'arbitrage international Areva-TVO, la Cour juge que le client pourrait invoquer un « manque de compétence » de son fournisseur.
Achat d'une mine d'uranium imprudent
Elle estime aussi que le « modèle intégré de "recyclage"
- extraction de l'uranium
- conception-construction des réacteurs
- retraitement des déchets
n'est pas définitivement convaincant ». Faute de flux de trésorerie opérationnels suffisants, le groupe a dû financer ses investissements durant ces années « majoritairement grâce à ses cessions », comme celle du pôle T&D (transmission et distribution).
Cette stratégie d'expansion « se heurte directement à l'insuffisance progressive des moyens du groupe », notamment ponctionnés par le réacteur finlandais et UraMin. Les magistrats sont particulièrement sévères sur l'achat « de façon imprudente et à un prix très élevé » (1,8 milliard d'euros) en 2007 de la société canadienne UraMin, dont les trois gisements africains d'uranium se sont révélés plus pauvres que prévu.
Areva a investi 865 millions Euro de manière hâtive dans une mine en Namibie, alors qu'il n'y a pas eu assez d'études des sous-sols et que le cour de l'uranium est en fort recul.
Si le conseil de surveillance est bien saisi, « le directoire et les services d'Areva n'ont pas présenté le projet de façon objective ». Et la revente promise de 49 % d'UraMin à un partenaire chinois ne se fera jamais. Au total, il s'agit là d'une affaire « grave », dont la justice est saisie. Areva n'a pas su non plus anticiper la baisse des commandes d'EDF, qui a poussé très loin sa stratégie de diversification des fournisseurs. Elle a été « subie par Areva » et la rentabilité de plusieurs usines du cycle du combustible construites à grands frais est compromise, le groupe n'ayant pas réussi à compenser cette perte par des contrats à l' étranger.
Petit détail final: Atomic-Anne a retrouvé un travail en tant que CEO de la cleantech française SigFox.
Article: Jean-Michel Bezat, Journaliste au Monde